Par Jacques Buchhold.
Les associations chrétiennes comme le GBU font partie de l’Église universelle. L’apôtre Paul a lui-même formé des personnes se consacrant à l’édification de l’Église universelle et dont le travail a aussi profité aux Églises locales.
Comment comprendre la relation qui lie les associations chrétiennes à l’Église ? Cette question se posait déjà alors que j’étais moi-même étudiant, puis Secrétaire Itinérant Régional de la région parisienne en 1976-1977. Et d’aucuns d’ajouter que si l’Église était ce qu’elle devrait être, il n’y aurait nul besoin d’œuvres para-ecclésiastiques ou interdénominationelles comme le GBU, les institutions de formation théologique, ou les mouvements d’évangélisation. L’Esprit ne « gratifie-t-il » pas de ses « charismes » l’Église et non ces œuvres (1 Co 12.4), et le Christ ne donne-t-il pas à l’Église ceux qu’il a choisis pour favoriser l’édification des croyants en vue de la construction de son corps selon ce qu’enseigne Éphésiens 4.11-12 ? Cependant, une telle façon de comprendre le rapport associations/Église s’oppose, me semble-t-il, à deux données bibliques :
- l’enseignement néotestamentaire sur l’Église ;
- la pratique apostolique.
L’Église selon le Nouveau Testament
Cet article n’a pas pour but de proposer une doctrine élaborée de l’Église. Je me contenterai de relever un point qui est essentiel pour mon propos : contrairement à ce qu’on affirme parfois, les textes du Nouveau Testament qui parlent de l’Église ne visent pas principalement ou prioritairement l’Église locale car nombre d’entre eux concernent l’Église universelle. Tel est le cas, en particulier, des lettres de Paul. Dans l’épître aux Éphésiens, par exemple, l’Église est présentée comme l’humanité nouvelle en Christ, dont l’unité entre Juifs et païens a été acquise par la mort de Jésus à la croix (2.11-19). Mais cette Église constitue aussi le temple de Dieu sur terre, qui a été construit sur le fondement que sont les apôtres, les prophètes de la nouvelle alliance, et dont Jésus-Christ est la pierre angulaire (2.20-21). L’Église est aussi l’épouse du Christ, qui « a donné sa vie pour elle afin de la rendre digne de Dieu » (5.25-26). Elle est encore le corps du Christ, qui en est la tête (1.22-23).
Or, on voit bien que ces quatre images de l’Église visent essentiellement l’Église dans son ensemble, l’Église universelle. Mais si tel est le cas, les associations chrétiennes, avec leur confession de foi et leur discipline interne, font bel et bien partie de cette Église ! Ils en constituent des « morceaux », des « bouts », des manifestations, et, par leur activité, c’est Dieu qui œuvre dans son Église et par elle.
Il est utile de noter à ce sujet que le Christ glorifié n’a pas donné les personnes nécessaires à l’édification des croyants aux Églises locales mais à l’Église, qui est son corps (Ép 4.11-12). Ce fait devait être évident pour les apôtres dont le rôle historique a été fondamental pour l’Église universelle (cf. 2.20 ; 3.5) ; il s’impose aussi pour les prophètes et les évangélistes dont le ministère ne se limite pas à une Église locale, contrairement à celui des pasteurs-docteurs. Cependant, même ces derniers ne devraient pas avoir une vision « localiste » de leur vocation car, par leur service local, ils servent à la croissance du « corps tout entier » et assurent « sa forte unité » (4.16). Mais si tel est le cas, tous ceux qui œuvrent dans les associations telles que le GBU n’œuvrent-ils pas dans l’Église et pour elle ?
La pratique apostolique
Je relèverai deux faits qui ont marqué la pratique apostolique de Paul et qui illustrent les remarques faites précédemment. Le premier concerne le nombre impressionnant de « collaborateurs » que mentionne l’apôtre, qui l’ont secondé dans son ministère pour l’Église et non seulement dans telle ou telle Église locale. Le deuxième fait tient à la constatation qu’un infléchissement a marqué l’œuvre d’implantation d’Églises par l’apôtre, qui a abouti à la création d’un centre de formation apostolique !
Paul et ses collaborateurs
Lorsqu’on lit les lettres de l’apôtre, on est frappé par le nombre de personnes qu’il appelle « col-laborateurs, co-ouvriers ». Certes, Paul nomme ainsi les membres réguliers de son équipe apostolique : Timothée (Rm 16.21 ; 2 Co 1.19, 24 ; 1 Th 3.2), Silas (2 Co 1.19, 24) et Tite (2 Co 8.23). Mais à ceux-ci, il faut ajouter Priscille et Aquilas (Rm 16.3), Urbain (Rm 16.9), Apollos (1 Co 3.9), Épaphrodite (Ph 2.25), Évodie et Syntyche, deux chrétiennes de Philippes, ainsi que Clément (Ph 4.3), Aristarque de Thessalonique (cf. Ac 19.29 ; 20.4), Marc, cousin de Barnabas (Phm 24), et Jésus Justus (Col 4.10-11), Philémon (Phm 1), Démas, Luc (Phm 24).
À cette liste des « collaborateurs » de Paul, on peut ajouter d’autres personnes que l’apôtre ne désigne pas explicitement par ce mot : Tychique, « le frère bien-aimé, le serviteur digne de foi et le co-esclave dans le Seigneur » (Col 4.7 ; cf. Ép 6.21), et les autres compagnons de Paul mentionnés en Actes 20.4 : Gaïus de Derbe (cf. Ac 19.29), Sopatros de Bérée, Secundus de Thessalonique. Il faut encore citer Sosthène, co-auteur de la première lettre aux Corinthiens (1 Co 1.1), et Stéphanas de Corinthe (1 Co 16.14-15), Artémas et le juriste Zénas, (Tt 3.12-13), Éraste, le trésorier de la ville de Corinthe (Ac 19.22 ; Rm 16.23 ; 2 Tm 4.20), et d’autres encore (par exemple, Rm 16).
Or, le service d’un grand nombre d’hommes et de femmes mentionnés dans ces deux listes ne s’est pas limité à un ministère « pastoral » local, et l’on ne voit pas pourquoi, après la disparition des apôtres, le Christ ne continuerait pas à donner à son Église des hommes et des femmes appelés à des ministères analogues en vue de l’édification de son corps. Si donc les Irénée, Augustin, Thomas d’Aquin, Calvin, Wesley ou Ruben Saillens ont été de telles personnes, pourquoi les Stacey Woods, Martyn Lloyd-Jones, René Pache, qui ont été parmi les fondateurs d’IFES (l’union internationale des GBU) en 1947, n’en feraient-ils pas partie, ainsi que tous ceux qui, aujourd’hui encore, travaillent au sein d’associations chrétiennes ?
Les infléchissements dans la pratique missionnaire de Paul
Jusqu’à présent, je n’ai pas encore mentionné un serviteur de Dieu remarquable, Barnabas. C’est à ses côtés que Paul accomplit son premier périple missionnaire lors duquel ils créent des Églises en Galatie du Sud, à Antioche de Pisidie, à Iconium, à Lystre et à Derbe (Ac 13 et 14), et des anciens y sont nommés (14.23).
C’est alors qu’éclate la grande crise judaïsante qui a failli ruiner tout le travail de l’apôtre. Dans les Églises créées en Galatie comme à Antioche de Syrie, de prétendus chrétiens d’origine juive viennent prêcher la nécessité de devenir prosélyte juif en se faisant circoncire pour devenir chrétien. Cette crise entraîne la rédaction de l’épître aux Galates et la tenue du premier concile de l’Église à Jérusalem (Ac 15). Or, on peut se demander si ce n’est pas à cause de cette crise, qui a profondément ébranlé les Églises, que Paul, dorénavant, ne se contentera plus de la nomination d’anciens dans les Églises qu’il créera, mais cherchera constamment à leur assurer un encadrement de qualité.
Pour son deuxième périple missionnaire, Paul part avec Silas (15.40). À Lystre, l’apôtre recrute Timothée (16.1-3). Ils traversent l’actuelle Turquie et arrivent à Troas (16.8). Là, le médecin Luc se joint à eux, puis Paul et son équipe partent en Macédoine (Ac 16.11-15). Une Église est créée à Philippes. Paul et Silas sont emprisonnés ; libérés, ils doivent quitter la ville. Luc, lui, reste à Philippes. De là, Paul, Silas et Timothée se rendent à Thessalonique (Ac 16.40). L’Église est créée, l’opposition éclate, Paul, Silas et Timothée doivent quitter la ville et se retouvent à Athènes. Paul et Silas envoient Timothée à Thessalonique pour assurer le travail de suite (1 Th 3.1-2, 5), puis Silas part à son tour pour la Macédoine et se rend jusqu’à Philippes.
L’infléchissement de la pratique paulinienne en faveur d’un encadrement de qualité dans les Églises nouvellement fondées lors du deuxième périple missionnaire ne prouve-t-il pas l’importance, pour la construction de l’Église, d’hommes et de femmes compétents (2 Tm 2.2), dont le ministère ne se limite pas aux frontières de l’Église locale ?
Le troisième périple de Paul n’a pas constitué un voyage missionnaire à proprement parler : il s’est largement limité à un séjour à Éphèse (Ac 20.31). Là, pendant trois mois, Paul se rend à la synagogue (19.8), puis, deux ans durant, il enseigne dans l’école de Tyrannus (19.10).
Conscient de l’importance d’Éphèse et fidèle à sa stratégie, Paul mobilise toute une équipe de collaborateurs pour assurer l’évangélisation de la région. On y trouve Priscille et Aquilas, Apollos, Timothée, accompagné d’Éraste. Les Macédoniens Gaïus et Aristarque sont là, eux aussi, ainsi que Tite, le fidèle collaborateur de l’apôtre. La présence de tous ces collaborateurs donne une grande liberté d’action à Paul. On assiste ainsi à un nouvel infléchissement dans sa pratique.
En effet, après avoir argumenté en faveur du Royaume de Dieu pendant trois mois à la synagogue, face à l’opposition de plusieurs, Paul « prit à part les disciples, s’entretenant avec eux chaque jour dans l’école d’un nommé Tyrannus » (Ac 19.9). Laissant derrière lui la synagogue, Paul crée un centre de formation mi-institut biblique, mi-GBU ! Car c’est bien à cela qu’on assiste. Il ne s’agit pas de la fondation d’une Église, mais d’une « école », dans une scholè, mise à la disposition de Paul par un certain Tyrannus. Paul s’y entretientavec les disciples « tous les jours », ce à quoi le codex de Bèze ajoute : « de 11 heures à 16 heures » (v. 9). Mais ce lieu est aussi ouvert aux non-croyants puisque la suite du passage précise, au verset 10 : « Cela dura deux ans, si bien que tous les habitants de la province d’Asie, tant Juifs que Grecs, entendirent la Parole du Seigneur. »
Des collaborateurs et un centre de formation ! Telle a été la « nouvelle » pratique de Paul. N’aurait-elle plus de pertinence de nos jours ?
Et l’Église locale ?
Mais ce nouvel infléchissement dans la pratique ecclésiale de Paul s’est-il fait au détriment de l’Église locale ? Assurément non ! Car c’est lors de ces rencontres à Éphèse que se sont très certainement convertis Tychique (Acs 20.4), Épaphras (Col 1.7 ; 4.12 ; Phm 23), Philémon (Phm 1, 19) et Archippe (Col 4.17 ; Phm 2). Ces croyants, formés dans ce centre, sont devenus des « collaborateurs » de Paul (Col 1.7 ; Phm 1), ses « compagnons d’armes » (Phm 2). Fruits de leur travail, une Église-fille avait été créée à Colosses, puis deux autres, à une quinzaine de kilomètres de Colosses, à Laodicée et à Hiérapolis (Col 4.13). Telle n’est-elle pas aussi la vocation des centres de formation et des GBU au XXIe siècle ?