Sommaire
- Matthieu 1&2 – Introduction
- Ésaïe 7.14 & Matthieu 1.23 – Le signe de l’Emmanuel
- Michée 5.1 & Matthieu 2.6 : Le nouveau David
- Osée 11.1 & Matthieu 2.15 : Je suis ton Père
- Jérémie 31.15, Matthieu 2.18 & 2.23 : La nouvelle alliance
Le signe de l’Emmanuel
Matthieu commence son récit par une généalogie de Jésus qui remonte jusqu’à Abraham en passant par le roi David et les étapes clefs de l’histoire d’Israël présentant Jésus comme l’aboutissement de cette histoire. Vient ensuite le premier épisode de l’évangile de Matthieu, la conception miraculeuse de l’enfant par l’action du Saint-Esprit. Cet événement est compris par Matthieu comme l’accomplissement de la prophétie d’Ésaïe 7.14. Ce miracle est un signe qui vient ouvrir l’évangile. Mais si c’est un signe, que signifie-t-il ?
Cette citation fait partie d’une section du livre d’Ésaïe qu’on appelle parfois le livret d’Emmanuel (ch. 7 à 12), qui dévoile progressivement une figure messianique, l’Emmanuel (7.14), le fils qui nous est né (9.5), le rameau d’Isaï (11.1) qui sont des passages lus habituellement à la période de Noël car ils annoncent la venue du Christ. Si Matthieu ne cite que le verset clef, il a probablement l’ensemble du passage en tête. Mais comprenons-nous toujours le contexte originel dans lequel la prophétie a été annoncée ?
Le chapitre 7 d’Ésaïe commence par un dialogue un peu tendu entre Ésaïe et le roi Achaz qui se déroule en 735 av. J.-C. Achaz était un roi de Juda (le royaume du Sud) mauvais qui immolera son propre fils. La situation politique de Juda était assez tendue. L’Empire Assyrien menaçait de s’étendre vers Israël et les pays alentours. Une coalition s’était formée entre le Royaume d’Israël (le royaume du Nord) et la Syrie pour tenter de stopper l’Assyrie. Or cette coalition faisait pression sur Achaz pour qu’il les rejoigne. Mais celui-ci était pro-Assyrien et s’opposait à eux. Les armées d’Israël et de Syrie s’approchaient alors de Juda pour déposer Achaz et le remplacer par un roi qui leur serait favorable. Achaz va alors inspecter ses défenses et c’est là qu’il tombe sur Ésaïe.
La problématique du passage se trouve en Es 7.9 « Si vous n’avez pas foi, vous ne tiendrez pas ! ». Ésaïe veut stimuler la foi d’Achaz. Mais lui, fait confiance en l’Assyrie plutôt qu’en Dieu, ce qui est un mauvais calcul puisque 30 ans plus tard, l’Assyrie dévastera le pays de Juda s’arrêtant aux portes de Jérusalem (cf. v. 17). C’est pour cela qu’Ésaïe lui propose un signe afin de montrer la puissance et la fiabilité de Dieu. Mais Achaz refuse, par piété feinte, il se moque bien de ce que Dieu peut faire mais préfère ne pas perdre la face en public. Alors Ésaïe lui donne un signe paradoxal : Dieu va agir, la vierge enfantera mais Achaz ne le verra pas, puisque cela se passera 730 ans plus tard.
Un débat existe concernant l’interprétation de ce verset. Est-ce qu’Ésaïe annonce une prophétie avec un premier accomplissement à son époque, et un deuxième accomplissement « ultime » en Jésus-Christ. En effet, à quoi sert-il d’annoncer un signe qui ne se réalisera pas du vivant d’Achaz ? Une hypothèse est que l’enfant annoncé est Ézéchias, le fils d’Achaz qui sera un roi exemplaire dont la sagesse rappellera celle de Salomon. Cette hypothèse présente un double problème, d’une part cette naissance n’est pas miraculeuse, or en quoi une naissance normale est-elle un signe ? Mais surtout Ézéchias est probablement déjà né au moment où Ésaïe annonce cette prophétie. Il n’est pas absurde qu’Ésaïe, prophétise des événements lointains, il prédira l’exil (586 av. J.-C.) et le retour d’Exil (539 av. J.-C.)
Ésaïe avait-il conscience d’annoncer une prophétie ayant une aussi longue échéance ? C’est impossible de l’affirmer avec certitude. Cependant, remarquons tout d’abord que ce qu’annonce Ésaïe se déroule en deux étapes. Le signe viendra après une série d’événements. On pourrait même dire, que l’annonce de la défaite de ses ennemis atteste de la certitude du signe de l’enfant qui arrivera dans un temps non déterminé. Achaz verra bien se réaliser ce qu’annonce Dieu : deux ans plus tard, Damas, la capitale de la Syrie sera rasée et cela sera le tour de Samarie en 722[1]. Il est également intéressant de noter le contraste entre le signe de l’enfant du chapitre 7 et le signe de l’enfant d’Ésaïe au chapitre 8.1-4, puisque cette fois, l’enfant est très concret, ses parents sont connus, on peut calculer une date à partir de sa naissance alors que les informations concernant l’Emmanuel sont beaucoup plus floues et ne suggèrent pas forcément un premier accomplissement proche. Ce signe est un signe de jugement pour Achaz, il sera délivré de ces ennemis qu’il craint mais ceux-ci seront remplacés par un ennemi plus terrible encore : l’Assyrie. Quant au salut lié à cet enfant, il ne le connaîtra pas. Il faudra d’abord que les jugements de Dieu s’abattent sur Israël et Juda et après viendra le salut mais il ne concernera qu’un reste… bien des siècles après.
Qui est cet enfant annoncé ? Il y a fort à parier que c’est le même enfant qu’au chapitre 9 et au chapitre 11. Il y a des similitudes de vocabulaire et les trois oracles annoncent un enfant royal, extraordinaire. Le premier indice est indiqué dans son nom, il s’appellera « Dieu avec nous », si le prophète insiste sur son prénom, c’est qu’il porte du sens. On peut se demander si Ésaïe prédit que l’enfant sera Dieu ? Les premiers lecteurs d’Ésaïe pouvaient très bien comprendre « il s’appellera Dieu avec nous » dans le sens que Dieu agira d’une manière particulièrement forte à travers lui. Mais si on développe le portrait qu’en donne Ésaïe au chapitre 9, il porte une série de qualificatifs assez extraordinaires, dont Dieu-Héro et Père Éternel. Aucun roi dans l’histoire d’Israël n’a jamais prétendu à de tels titres. Si jamais Ésaïe n’a pas conscience de la divinité du Messie qu’il annonce, il pointe tout de même dans cette direction.
C’est le nom « Dieu avec nous » qui intéresse tout particulièrement Matthieu, il prend la peine de le traduire car la signification de ce nom indique qui Jésus est : Dieu avec nous. Et c’est bien ça Noël, Dieu s’est fait homme pour vivre parmi les hommes. C’est un gage très fort de sa solidarité avec l’humanité. Le thème de Dieu avec les hommes est présent dès la genèse lorsque Dieu se promène dans le Jardin où il a placé l’homme car Dieu souhaite entrer en relation avec l’homme. Il est Dieu avec nous, car il noue cette relation en prenant la condition humaine, il est qualifié pour représenter les hommes en mourant leur place sur la croix, détruisant ainsi l’obstacle du péché pour la relation entre Dieu et les hommes. La venue de Jésus est l’accomplissement d’un plan radical où Dieu fait tout pour être au plus près de l’humanité.
Mais ce n’est pas tout car cette première citation de l’évangile trouve un écho dans le dernier verset de l’évangile « Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ». L’histoire de Jésus ne s’arrête bien sûr pas à Noël. Dieu est venu avec nous pour établir une relation avec les hommes et il continue de nous accompagner, d’être avec ses enfants tous les jours, car il les aime. Avec Jésus, nous avons un signe qui nous aide à faire confiance en Dieu, qui nous aide à tenir bon car l’histoire continue avec Dieu à nos côtés : le même Esprit qui a fait naître Jésus agit dans celui qui croît pour le mener à la perfection lors de la Résurrection.
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[1] Et plus tard, des déportations massives de populations auront lieues entre 675 et 670 dans le Royaume du Nord conquis (cf. v. 8)