Article initialement publié sur http://lafree.ch/item/2884-convaincre-la-pens%C3%A9e-et-le-c%C5%93ur-par-lesprit avec leur aimable autorisation.
En tant qu’évangéliques, nous sommes conscients de notre responsabilité d’évangéliser. Faire connaitre aux hommes qui est Dieu et ce qu’il a fait pour nous sauver de la condamnation et nous réconcilier avec lui, quelle plus belle tâche ?
Mais ce n’est pas si simple. Parfois, dire le message ne suffit pas. Peut-être ne parait-il plus crédible aujourd’hui, peut-être ne semble-t-il pas pertinent pour les besoins de nos contemporains. Ou ce message suscite-t-il des questions et des oppositions. C’est là qu’entre en jeu la démarche apologétique, c’est-à-dire la défense de la foi chrétienne. Il s’agit non plus seulement d’affirmer ce que l’on croit, mais aussi de le soutenir dans un débat ou une discussion. Et même de profiter de tels débats pour faire comprendre davantage ce que représente la foi en Jésus-Christ.
L’apologétique peut avoir une réputation d’intellectualisme exagéré, mais cela n’est pas nécessairement le cas. De fait, je vais en présenter trois angles qui se complètent : convaincre la raison, toucher le cœur, avec l’aide de l’Esprit.
Convaincre la raison
Dans le domaine de la raison, il y a des modes de pensée qui empêchent purement et simplement de prendre la foi au sérieux. Beaucoup de nos contemporains pensent que l’on ne peut rien dire de valable sur la Vérité, et que tout ce qu’on en dit n’est que le fruit de préjugés culturels et d’influences sociales. Ceux qui pensent ainsi ne pourront jamais croire réellement au message de l’Évangile, au point de transformer leur vie. De même, celui qui considère que seuls les faits établis par une expérience scientifique répétable peuvent être tenus pour vrais ne pourra pas croire à la résurrection du Christ, qui s’est produite une fois pour toutes. Celui qui nie qu’il y ait un bien ou un mal objectif n’admettra jamais son besoin de repentance et de pardon.
C’est pourquoi nous avons besoin d’une apologétique capable de mettre en cause ces modes de pensée, comme l’évoque aussi l’apôtre Paul : « Car les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas celles de la chair ; cependant elles ont le pouvoir, du fait de Dieu, de démolir des forteresses. Nous démolissons les raisonnements et toute hauteur qui s’élève contre la connaissance de Dieu, et nous nous emparons de toute pensée pour l’amener, captive, à l’obéissance du Christ » (2 Corinthiens 10.4-5, NBS).
Pour ce faire, il importe d’abord de bien comprendre la pensée de ceux avec qui on est en contact. Derrière les objections se trouve un système de pensée qu’il faudra remettre en cause. Et tout système repose à un moment sur une base arbitraire. Un mode de pensée bâti sans Dieu et sans Christ va se trouver incohérent avec lui-même, ou avec le monde où nous vivons, ou avec la nature humaine que Dieu nous a donnée. C’est là qu’il faudra poser des questions et soulever des observations qui mettent le doigt où ça fait mal. Après cela, il faut montrer comment la foi biblique est plus complète, plus appropriée et plus vivante que la vision à laquelle on s’oppose. Mais pour cela, il faut nous-mêmes avoir fait le lien entre notre foi et tout ce que nous vivons, pensons et observons. Ceci est un défi pour l’Église, surtout dans une époque qui nous dit que la foi est une affaire de sentiments privés. Si nous avons accepté cette idée et renoncé à faire dialoguer foi et pensée, nous nous trouverons très empruntés. Les besoins de l’apologétique doivent aussi nous pousser à penser notre foi et à penser notre vie en lien avec notre foi – ce qui est nécessaire même pour simplement vivre une foi cohérente.
Toucher le cœur
Le terrain de la pensée n’est par contre pas le seul, et il ne sera pas suffisant. Dans notre époque, peu de gens ont la cohérence d’être convaincus par un raisonnement logique et d’engager leur vie sur la base de ce qui est vrai, du simple fait que c’est vrai. La réalité de la foi est trop complexe pour se réduire à un raisonnement qui s’enchaine. Le cœur et la volonté des personnes sont impliqués, et il faut parler à ces dimensions-là également.
Les êtres humains sont nés avec des désirs, dont certains sont très profonds. Le désir d’être aimé, le besoin d’un espoir véritable(1), la nécessité de voir un sens à la vie sont autant d’aspirations qui indiquent que l’homme est fait pour davantage que la stagnation dans une société de consommation.
L’homme est créé à l’image de Dieu et il porte dans son cœur des désirs qui témoignent de cet appel. C’est aussi ce que déclare l’Ecclésiaste : « Il fait toute chose bonne en son temps ; même il a mis dans leur cœur la pensée de l’éternité, bien que l’homme ne puisse pas saisir l’œuvre que Dieu fait, du commencement jusqu’à la fin » (Ecclésiaste 3.11, Bible Segond).
Pour une large part, nos contemporains ont abandonné l’idée d’acquérir une vision réellement cohérente du monde, et la vérité leur semble hors d’atteinte. Mais ils cherchent néanmoins à donner du sens à leurs espoirs, leurs joies et leurs angoisses. Montrer comment notre foi répond à ces aspirations est un bon moyen de rendre la foi non seulement crédible, mais désirable(2). Un monde sans Dieu tend vers l’absurde, une vie sous le regard de Dieu prend tout son sens.
Attention toutefois, ces aspirations humaines peuvent être un puissant moteur pour rapprocher les gens de la foi, mais si on n’a pas également défendu la crédibilité intellectuelle du message, les gens verront cela comme une solution de facilité, un moyen commode de répondre à des angoisses existentielles, mais sans réalité. Or Dieu ne cherche pas des gens qui « croient » mollement à un mythe qui les rassure. Il cherche des gens qui croient de tout leur cœur, de toute leur âme et de toute leur pensée. Celui qui croit que la foi est agréable mais qu’elle n’est pas vraie ne mettra jamais toute sa vie en jeu. Au moment crucial, au moment où la foi coûte au lieu de rassurer, le mensonge confortable s’effondre.
Par l’Esprit
Nous devons aussi nous rappeler que nous croyons en un Dieu vivant, souverain et qui agit. C’est pourquoi nous ne mettrons pas notre confiance dans nos efforts et nos méthodes, mais nous nous rappellerons que c’est l’Esprit Saint qui convainc. Nous offrons nos efforts à Dieu pour son œuvre, mais sans lui nous ne pouvons rien faire. Quels que soient les cadres et les circonstances, la prière et la dépendance de Dieu sont capitales. Si nous oublions cela, l’apologétique court le risque d’être un simple jeu intellectuel ou une entreprise de manipulation.
Nous devons être prêts à rendre raison de notre espérance (1 Pierre 3.15), mais nous n’avons pas à être inquiets de notre défense, car l’Esprit peut nous enseigner sur l’heure ce qu’il convient de dire (Luc 12.11-12). L’Église a une responsabilité d’annoncer le message de l’Évangile, et de le faire d’une manière crédible et accessible. Mais la dépendance de Dieu devra toujours rester première et sous-tendre tout travail apologétique. Alors, que Dieu nous vienne en aide pour faire connaitre son Évangile au monde qui nous entoure !
Jean-René Moret
Notes
(1) J’ai développé ce point dans : Jean-René Moret, « L’espérance comme témoignage », Hokhma 102 (2012), p. 79–90.
(2) Je m’inspire ici en partie de : John Starke « The case for ‘sense of the heart’ apologetics », The Gospelcoalition Blog post, janvier 2012. Voir.