Sommaire
- Matthieu 1&2 – Introduction
- Ésaïe 7.14 & Matthieu 1.23 – Le signe de l’Emmanuel
- Michée 5.1 & Matthieu 2.6 : Le nouveau David
- Osée 11.1 & Matthieu 2.15 : Je suis ton Père
- Jérémie 31.15, Matthieu 2.18 & 2.23 : La nouvelle alliance
Je suis ton Père
Quand Israël était jeune, je l’aimais :d’Égypte j’ai appelé mon fils. (Osée 11.1)
Dans le récit de Matthieu, tous les ingrédients d’un bon film sont présents : un complot, du suspense des retournements de situations. Hérode a voulu tromper les mages, mais ceux-ci sont divinement avertis et ne retournent pas le voir ce qui donne un moment de répit pour échapper définitivement à la menace d’Hérode. Joseph est à son tour avertit du danger qui les guette et s’enfuit en Égypte jusqu’à la mort d’Hérode. L’Égypte est la destination de refuge par excellence, à cette époque, une importante communauté juive y était installée mais surtout, elle était hors de portée d’Hérode. À sa mort, Joseph part d’Égypte avec sa famille, ce que Matthieu associe avec la prophétie d’Osée 11.1 mais, encore une fois, cette citation est bien surprenante parce que ce verset n’est pas une annonce d’un évènement futur mais le rappel d’un évènement passé – l’Exode mais Matthieu en parle comme de l’accomplissement du prophète Osée. Matthieu aurait-il osé faire une lecture prétexte du texte d’Osée ? Pour répondre à cette question, comme à notre habitude, nous allons nous intéresser en détail à ce qu’écrit Osée au chapitre 11, en plus, c’est un très beau chapitre de la Bible.
Osée fait suite au prophète Amos au 8ème siècle avant J.-C. Il est donc un contemporain d’Ésaïe et de Michée. Ces derniers étaient prophètes dans le royaume de Juda, alors qu’Osée s’adresse, lui au Royaume du Nord dont la capitale était Samarie. Il a exercé de la fin du règne de Jéroboam II (793-753 av. J.-C.) à la chute de Samarie (722 av. J-.C.) après la conquête du Royaume d’Israël par l’Assyrie. Si le Royaume d’Israël connaît l’apogée de sa puissance sous le règne de Jéroboam II, les choses se dégradent très rapidement les 20 années qui suivent où 5 rois se succèdent (avec coups d’états et régicides) dans la plus grande instabilité politique. Et là où Israël décline, l’Assyrie monte en puissance et commence à s’étendre en direction d’Israël. Pour y faire face, les rois d’Israël vont être tentés de nouer des alliances avec les puissances voisines, dont l’autre grand Empire, l’Égypte, pour assurer leur sécurité face à l’Assyrie.
C’est en particulier ce que dénonce Osée, en plus de l’idolâtrie et de l’injustice sociale qu’avait déjà dénoncées Amos. Car tout est lié. En même temps que l’alliance avec une nation étrangère, le peuple va adopter les alliances coupables de leurs dirigeants qui mènent le pays à la catastrophe.
Osée prononce des paroles très sévères contre Israël de la part de Dieu mais c’est la sévérité d’un Dieu profondément attaché à son peuple. Car on y trouve aussi parmi les plus belles et vibrantes déclarations d’amour de Dieu à son peuple. L’image du mari trompé par sa femme qui se prostitue pour s’enrichir est employée pour parler à la fois de l’idolâtrie et des alliances avec les peuples étrangers pour assurer la sécurité et la prospérité du peuple, au lieu de compter sur Dieu. L’image évoque le scandale de la trahison et la déchirure que cela cause au mari, à Dieu. Et pourtant, le mari trompé va tout faire pour ramener sa femme à lui, même s’il faut commencer par la mettre à nu et la dépouiller des richesses de ses amants (ce qui va se concrétiser avec l’exil) pour la séduire à nouveau et faire triompher l’amour et la fidélité. Cette image qu’on trouve dans les chapitres 1 à 3 introduit les grands thèmes développés dans la suite du livre. Notre citation se trouve à la fin de la première grande partie d’Osée (ch. 4 à 11) qui, elle-même, se décompose en réquisitoire contre Israël (ch. 4-7), annonce du jugement (ch. 8-10) et rétablissement (ch. 11).
L’un des intérêts du texte d’Osée 11 est qu’il développe le thème de la paternité de Dieu au lieu de réemployer l’image du mari des premiers chapitres. C’est un thème qui est peu exploité dans l’Ancien-Testament mais qui sera cher à Jésus. L’imagerie est tout à fait appropriée puisqu’elle avait d’abord été employée lors de l’Exode auquel Osée fait référence (Ex 4.22)[1]. Dans les premiers versets du chapitre 11, Dieu fait un rappel de l’Exode quand Dieu a pris soin de son peuple en le libérant d’Égypte et le guidant dans le désert, tel un tendre père qui apprend à marcher à son fils. On retrouve dans ces versets le champ lexical de la tendresse paternelle (c’est moi qui ai guidé ses pas, je l’ai porté dans mes bras, je l’ai conduit par des cordes d’amour) et est donc bouleversé de voir son peuple s’éloigner de lui. En 7.11 Osée dénonce, en particulier, l’alliance avec l’Égypte donc lorsque Dieu dit : « D’Égypte, j’ai appelé mon fils » ce n’est pas neutre, en comptant sur l’Égypte sur le terrain politique, Israël renie tout ce qu’a fait Dieu pour lui, mais le texte ne s’arrête pas là. L’alliance avec l’Égypte entraînera la perte d’Israël, l’Égypte ne viendra pas à son secours et l’Assyrie ravagera Israël (ce qu’annoncent les v. 5-6). Cependant, l’amour de Dieu prévaudra, il ne traitera pas son peuple selon sa colère mais selon son amour (v. 7-9) ; alors il les rappellera. Et c’est là que ça devient intéressant pour nous puisque ce chapitre finit sur une annonce d’une délivrance de Dieu, en l’occurrence un retour d’Exil qui fait écho au v. 1. Aux versets 10-11, Dieu appellera son peuple tel un lion rugissant et ils accourront vers lui de la mer, de l’Égypte et de l’Assyrie. Osée dresse un parallèle entre un retour d’Égypte et un retour d’Assyrie, il annonce donc une délivrance d’Assyrie comme celle d’Égypte qu’il a rappelée au v. 1, il annonce une sorte de nouvel exode pour qu’ils puissent enfin habiter chez eux.
Est-ce alors ceci qui s’accomplit avec Jésus d’après Matthieu ? Dans ce cas pourquoi citer le v. 1 plutôt que le v. 11 ? En fait, Matthieu est en train de présenter Jésus comme un nouveau Moïse. Jésus vit des événements qui évoquent l’exode : la sortie d’Égypte mais aussi le meurtre des nouveau-nés. Matthieu choisit donc le verset qui évoque la sortie d’Égypte de manière la plus explicite possible tout en sachant qu’il se situe au sein d’une prophétie qui annonce un retour d’Exil à la manière nouvel Exode. Avec Moïse, Dieu avait libéré son fils de l’Esclavage d’Égypte, mais cette libération avait mis en lumière un esclavage plus profond, l’esclavage du péché qui a poussé le peuple à s’éloigner sans cesse de Dieu, dès le désert puis dans le royaume d’Israël. En tant que nouveau Moïse, Jésus va alors libérer un nouveau peuple de l’esclavage du péché. Matthieu discerne le même mouvement de Dieu en faveur de son peuple, qui avait fait sortir son fils d’Égypte, ce même mouvement qu’avait annoncé Osée et qui s’accomplit avec Jésus. Et ce mouvement, c’est cet amour paternel de Dieu qui est à l’œuvre, amour prêt à tout pour chercher son peuple perdu, prêt à livrer son fils parfait pour adopter les fils qui l’avaient rejetés, prêt à envoyer son fils dans la fange de notre péché pour nous sortir du bourbier de nos fautes. Voici Noël, voici l’effort du Dieu qui veut dire : « je suis ton père ».
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[1] En toute rigueur, le thème de la paternité divine apparaît dès la genèse, mais de manière subtile, puisque tout comme Dieu créé l’homme en son image, comme sa ressemblance (Gn 1.26), Adam engendre un fils en sa ressemblance, comme son image (Gn 5.3).