« Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir », écrit l’apôtre Paul (Actes 20.35), citant une parole de Jésus qu’il n’est pas toujours facile de mettre en pratique. Qu’est-ce qui pourrait donc nous motiver à donner ?
Par Micaël Razzano, Secrétaire général des GBU.
« Dans les textes bibliques, l’argent est rarement considéré comme un objet neutre, mais comme un sujet qui agit aussi bien à l’égard de celui qui ne l’a pas (et qui alors le désire ou plutôt est désiré par l’argent) que de celui qui le possède et obéit à ses lois »1. Comme le remarque ici Jacques Ellul, l’argent est un sujet sensible mais dont la Bible nous parle souvent. Nous y trouvons en effet plus de 2000 allusions aux biens matériels, et 16 des 38 paraboles de Jésus y font également référence. Si la Bible traite si fréquemment de ce thème, c’est qu’il s’agit d’une zone test pour notre foi, un lieu de vigilance. En effet, l’argent peut, parfois à notre insu, devenir un tyran qui contrôle notre vie surtout dans une société comme la nôtre où l’argent est roi : « celui qui aime l’argent dit l’Ecclésiaste n’est pas rassasié par l’argent » (Ec 5.9).
Le combien ou le comment ?
Si l’accumulation des richesses est la tentation du riche, l’inquiétude et la frustration peuvent devenir la tentation du pauvre. Jésus attire lui-même notre attention sur ce point quand, après avoir dénoncé l’emprise du « Mamon », il en vient aux soucis de la vie quotidienne. Ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts se retrouvent sans peine dans ses propos : « que mangerons-nous ? que boirons-nous ? de quoi serons-nous vêtus ? » (Mt 6.31). Ces préoccupations peuvent vite devenir une obsession et l’argent un objet de convoitise censé assurer notre sécurité. Le pauvre et le riche se retrouvent ainsi dans le même esprit de convoitise nourri par le même manque de confiance en Dieu. Ce qui importe dans l’Évangile, ce n’est donc pas tant la quantité des richesses que nous possédons (le combien) que la relation que nous entretenons avec elles (le comment).
C’est là où la pratique du don et de libéralité prend toute sa place. Le don introduit le principe de gratuité dans un domaine qui, a priori, lui est étranger, mais que les auteurs bibliques aiment pourtant réconcilier : « Venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer » nous dit le prophète És (55.1). Comment acheter sans argent, sans payer ? Impossible quand on est dans une logique du « donnant-donnant » ! Mais n’est-ce pas le principe même de la grâce qui est au cœur de l’Évangile ? C’est parce que nous avons reçu gratuitement que nous sommes invités à donner gratuitement comme Jésus lui-même nous le dit (Mt 10.8).
Les bienfaits de la libéralité
Voici le premier des dix principes que John Stott retient sur la libéralité : les dons faits par un chrétien sont une expression de la grâce de Dieu2. Ce qui est frappant dans l’exemple des chrétiens de Macédoine que Paul mentionne en introduction de son exhortation à la générosité en faveur des chrétiens de Jérusalem (2 Co 8.1-6), c’est que ce sont des gens pauvres et éprouvés. Ils n’en considèrent pas moins leur participation à cette collecte comme un privilège (4). Leur don découle de l’offrande première de leur vie au Seigneur (5). C’est ce qui lui confère tout son sens et c’est la raison pour laquelle ils donnent avec libéralité, jusqu’à la limite de leur moyens (3), ce que Paul n’encourage pas lui-même puisqu’il exhorte chacun à donner selon ses moyens (2 Co 8.11, 1 Co 16.2). Mais, John Stott de remarquer que pour l’apôtre, cette générosité des Macédoniens est avant tout l’expression de la grâce de Dieu, comme il le déclare lui-même au tout début de son exposé (2 Co 8.1).
Ce qui importe plus que tout pour l’apôtre et pour les auteurs bibliques en général, c’est la motivation qui nous pousse à donner. Si nous le faisons par devoir, nous ne le ferons pas avec joie. Or Dieu aime celui qui donne avec joie (1 Co 9.7), car la joie est l’expression de notre consécration au Seigneur. Nous ne donnons pas parce que Dieu en a besoin. Tout lui appartient ! L’or et l’argent sont à lui (Ag 2.8). Nous donnons parce que nous voulons exprimer au Seigneur notre reconnaissance pour sa fidélité, sa générosité envers nous. C’est d’ailleurs par cette exclamation de louange « que Dieu soit remercié pour son don incomparable » que Paul conclut ces deux chapitres consacrés à la collecte pour Jérusalem (2 Co 9.15). André Biéler de remarquer « qu’avant d’être un acte utilitaire, l’offrande est un acte de reconnaissance nécessaire à notre vie spirituelle. C’est l’acte par lequel nous attestons, par le prélèvement d’une partie de nos biens que nous reconnaissons en Dieu le seul auteur de notre vie, celui qui pourvoit à tous nos besoins, et qui, en retour attend que nous placions sous son regard notre vie entière… »3. Ainsi c’est bien nous qui avons besoin de donner. C’est nécessaire à notre santé spirituelle. Cela nous aide à entretenir une relation saine avec l’argent en évitant d’en faire une finalité.
« Jusque dans le porte-monnaie »
Mais donner avec générosité est aussi un signe de notre confiance en Dieu qui pourvoit à tous nos besoins. Dans l’ancienne alliance, on prélevait sur les prémices des premiers fruits (Ex 23. 19 – Pr 3.9-10). C’était un acte de foi qui exprimait une confiance dans la prévoyance et la fidélité de Dieu. Quant à la victime pour le sacrifice, elle devait être sans défaut. Pas question de se débarrasser de l’animal estropié ! Le don généreux, fait volontairement et sans contrainte, exprime aussi notre attachement à Dieu. Il témoigne également d’une certaine solidarité financière qui s’est manifestée dès le tout début de l’Église (Ac 2.44 ; Rm 15.27). Ce qui fait dire à Philippe Decorvet que pour Paul, « la communion fraternelle s’incarne jusque dans les porte-monnaie » 4
Alors oui : « que celui qui donne le fasse généreusement » (Ro 12.8)
1 Jacques Ellul, « l’argent – épreuve du chrétien », Tychique 100, novembre 92, p. 38
2 John Stott, Le privilège de donner, 10 principes sur la libéralité (IFES – GBU).
3 André Biéler, « l’offrande, signe d’une consécration », Argent sur table, PBU, 1989, p. 126
4 Philippe Decorvet, Un apôtre au cœur de berger, Emmaus, 2001, p. 55.