Il est difficile de comprendre comment Jésus peut être à la fois pleinement Dieu et pleinement homme. Comment réussir à articuler ces deux faits ensemble en tenant en équilibre l’union et la distinction des deux natures ? C’est un vrai défi, il y a quelque chose qui est de l’ordre du mystère, qu’on aura du mal à appréhender et qui nous dépasse… mais on va essayer quand même !
Soyons clairs, essayer de comprendre la double nature de Jésus, c’est un petit peu spéculatif. La Bible affirme que Jésus est pleinement homme et pleinement Dieu mais elle n’explique pas tellement comment ça marche. Il faut de l’humilité pour s’attaquer à ce sujet et on ne va pas prétendre à trouver une solution qui explique tout. Toutefois, ça vaut le coup parce qu’on a quelques rayons de lumière dans la Bible qui nous éclairent sur le mystère du Christ et nous poussent donc à utiliser l’intelligence que Dieu a donnée aux hommes pour réfléchir à ce sujet.
Une deuxième bonne raison, c’est que dans l’histoire de la théologie, il y a eu beaucoup de tentatives qui ont abouties à des solutions atténuant la pleine divinité ou la pleine humanité de Jésus et c’est important d’avoir une réponse à ces erreurs.
Par exemple, Apollinaire de Laodicée (300-390) pensait que Jésus était la parole qui avait pris un corps d’homme sans être de nature humaine. Un peu à l’image d’un dieu grec qui descendait sur terre pour communiquer avec les hommes, c’est-à-dire qu’il avait une apparence d’homme sans être vraiment un homme. Il maintient bien la divinité de Jésus mais amoindri fortement l’humanité. Dans le même registre de la déshumanisation de Jésus, Eutychès, au 5ème siècle, pensait que la nature divine du Christ était absorbée par sa nature humaine telle une goutte d’eau qui tombe dans un océan. À l’inverse, pour Arius (256-336), Jésus est une sorte de super-créature créée par Dieu ayant été rendue céleste. Jésus devient alors un mélange divino-humain.
C’est en 451 que des théologiens ont formulé un texte, le symbole de Chalcédoine 1, exprimant ce qu’est la double nature du Christ en respectant les données bibliques. Ils utilisent certains concepts qu’on ne trouve pas directement dans la Bible mais qui permettent de comprendre (un peu) les données bibliques. Le symbole affirme que l’union des deux natures du Christ se font dans son unique personne2.
Qu’entend-on par nature ? La nature c’est ce qui répond à la question « qu’est-ce ? ». La nature c’est l’ensemble des traits communs qui caractérisent une catégorie de choses ou d’êtres. Par exemple, si on appliquait ces notions aux chiens, la nature « chien », c’est l’ensemble des attributs qui caractérisent l’ensemble de tous les chiens, c’est-à-dire, qu’ils ont tous quatre pattes, des poils, aboient et poursuivent les chats etc. Tandis que les chats, eux, ont tous quatre pattes, des moustaches, miaulent et poursuivent les souris3.
Qu’entend-on par personne ? La personne, c’est ce qui répond à la question « qui est-ce ? » La personne c’est celui qui peut dire « Je ». C’est le fait qu’il y a un sujet, un individu, différencié d’un autre sujet. Par exemple, si j’ai deux chiens, l’un qui s’appelle « Polisson » et l’autre qui s’appelle « Fripouille » chacun est un sujet différencié et donc chacun est une personne qui porte la nature « chien ». La personne, c’est ce qui va mettre en œuvre les caractéristiques de sa nature. La nature est une abstraction tandis que la personne est une concrétisation de l’abstraction4.
Remarque : la notion de personne n’est pas tout à fait la même que la notion de personne qu’on utilise dans le langage courant. Et pour bien comprendre ça, on va appliquer les notions de natures et personnes aux boîtes. On pourrait parler de la nature « boite » qui est l’ensemble des traits qui caractérisent ce qu’est une boîte. Et une des personnes qui porte la nature « boîte », c’est telle boîte dans laquelle il y a ma paire de chaussures préférée, par exemple. Mais contrairement à la nature « être humain », la nature « boîte » n’a pas la caractéristique « émotion » ou « personnalité ».
En ce qui concerne Jésus, il y a une personne (la parole) existant de toute éternité qui porte la nature divine. Ensuite, à un moment précis dans l’histoire, cette personne s’est incarnée et a ainsi assumée une nature supplémentaire, humaine. En d’autres termes, une personne divine a porté la nature humaine, mais ce n’est pas une personne humaine qui a porté la nature divine. L’union des deux natures se fait bien dans la personne de Jésus. Mais ce n’est pas une union matérielle qui se ferait dans le corps de Jésus. La personne de Jésus, la parole, la deuxième personne de la trinité, le fils porte donc toutes les caractéristiques de la nature divine (depuis toujours) et toutes les caractéristiques de la nature humaine (depuis qu’il est dans le ventre de Marie).
Facile, non ? En fait, on rapporte tout simplement les données bibliques dans un langage conceptuel qui nous aide à appréhender comment se fait cette union des deux natures. Mais, c’est évident, on ne dit pas tout avec ces concepts. Les grecs du 5ème siècle ont tenté de trouver un langage pour décrire les données bibliques et pour répondre aux problèmes de leur temps. Le problème c’est qu’on n’a pas trouvé mieux depuis. Les autres tentatives n’ont pas réussi à tenir ensemble, l’unité de Jésus et ses deux natures.
Pierre Leray, Coordinateur Régional en Île-de-France
1Le symbole de Chalcédoine: « Suivant donc les saints Pères, nous enseignons tous unanimement que nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme (composé) d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous sauf le péché, avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et aux derniers jours le même (engendré) pour nous et pour notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l’humanité, un seul même Christ, Fils du Seigneur, l’unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des deux natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union, la propriété de l’une et l’autre nature étant bien plutôt sauvegardée et concourant à une seule personne et une seule hypostase, un Christ ne se fractionnant ni se divisant en deux personnes, mais en un seul et même Fils, unique engendré, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ ».
2Pour briller en société, vous pouvez utilisez l’expression technique d’union hypostatique. Hypostase étant un mot savant pour dire personne. L’union hypostatique veut simplement dire union dans la personne.
3L’auteur de l’article n’est pas un spécialiste de la biologie animale, ok ?
4Une métaphore permet de bien comprendre la notion de nature et de personne, mais seuls les informaticiens la comprendrons : En POO, la nature c’est comme une classe d’objet et la personne c’est l’instance de l’objet.