La question de la liberté agite chrétiens et philosophes depuis des millénaires. Et pour cause, puisqu’elle touche aussi bien à la réflexion qu’à la spiritualité et à la pratique. Qu’est-ce donc que la liberté ?
Par Donald COBB, professeur de Nouveau Testament à la Faculté Jean Calvin, Institut de théologie protestante et évangélique d’Aix-en-Provence.
Une définition fréquente de la liberté met en avant l’idée d’un choix autonome, la possibilité de se déterminer pour le bien ou pour le mal sans contrainte ou influence extérieure. Le point de départ de cette définition est en fait l’individu, compris indépendamment de son entourage social, familial ou religieux ; en isolement donc par rapport à tout facteur externe. L’image de l’homme radicalement isolé vient aisément à l’esprit, comme dans le « Cogito ergo sum » de Descartes (« Je pense donc je suis »), où l’individu ne doit recourir qu’à lui-même, y compris pour prouver sa propre existence.
Liberté dans la soumission
L’Écriture, elle, met en avant un autre point de départ. Pour la Bible, la liberté trouve son origine et son épanouissement – paradoxalement – dans la soumission à Dieu et dans la communion avec lui. Elle naît dans un rapport juste avec la vérité, plus précisément dans un rapport juste avec la révélation : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité fera de vous des hommes libres » (Jn 8.32) ! C’est pourquoi le Christ – vrai Dieu mais aussi homme libre par excellence – se définit par le fait d’être totalement tourné vers le Père : « Je ne puis rien faire de moi-même : d’après ce que j’entends, je juge ; et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 5.30 ; cf. 8.28-42 ; 14.10, etc.). Jésus se caractérise par une soumission totale et spontanée à la volonté de Dieu c’est pour cette raison qu’il est parfaitement libre !
De fait, la Bible n’envisage jamais la liberté, au sens fort du terme, en dehors d’une relation avec Dieu : « C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude » (Ga 5.1). Les raisons de ce lien sont en fait évidentes. L’être humain, « image de Dieu » qui vit dans une communion et une obéissance qui reflètent le caractère de son créateur, est en même temps conforme à ce pour quoi il a été créé. En revanche, celui qui rejette Dieu, cherchant à vivre « comme il entend le faire », place son existence sur des bases autres que celles pour lesquelles il a été créé. La conséquence en est une vie profondément désaxée. L’homme pécheur « n’image » plus Dieu ; il perd donc la seule liberté qu’il pouvait avoir.
Comme un poisson dans l’eau
Une illustration peut être utile ici. Imaginons un poisson, convaincu que l’eau représente une entrave à sa liberté et qui se dirait : « Je veux être libre ! Je veux sortir de cette eau qui m’impose des limites insupportables ! ». Que lui arriverait-il s’il parvenait à le faire ? Serait-il libre ? Non ! Il sortirait du seul cadre qui lui permettait de vivre, de se mouvoir librement et il mourrait rapidement, parce qu’un poisson n’est jamais libre ailleurs que dans le cadre pour lequel il a été fait. L’exemple est sans doute un peu infantile mais il nous fait bien comprendre que, pour l’homme non plus, la liberté ne consiste pas en la possibilité de décider par lui-même quelles seront ses limites ni de choisir de façon « neutre » entre le bien et le mal comme deux options égales qui se placeraient devant lui. L’homme a été créé « très bon » (Gn 1.31) ; en tant qu’image de Dieu, placé d’emblée dans le paradis pour vivre en communion avec le Dieu saint, il a reçu l’ordre de rester dans cette situation (Gn 2.8,16-17). En désobéissant au commandement, il est sorti de ce cadre, il est entré dans le domaine de la mort et de l’esclavage au péché (Gn 3.19 et 23 ; Rm 6.16,19-23 ; Ép 2.1-3).
Comme le montre la suite de la révélation, l’œuvre de Dieu visera un salut permettant à l’homme pécheur de recouvrer cette « liberté dans la communion » pour laquelle il avait été créé au départ. Certes, il existe des formes d’esclavage plus évidentes que d’autres (alcoolisme, drogue, pornographie, etc.) C’est bien pour cela que certaines libérations sont si extraordinaires. Mais, en réalité, l’Esprit opère l’affranchissement de tous ceux qui sont au Christ, précisément parce qu’il les « ressuscite » spirituellement et les transforme en l’image du Christ : « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. Nous tous qui […] contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image » (2 Cor 3.18 ; Ép 2.4-7).
Une impossibilité divine
Un dernier point peut nous aider à comprendre la liberté biblique, à savoir la liberté de Dieu. Bibliquement, il y a des choses que Dieu ne peut pas faire : il ne peut pas mentir, il ne peut pas se renier lui-même, il ne peut pas changer de caractère, etc. (Nb 23.19 ; 1 S 15.29 ; 2 Tm 2.13 ; Jc 1.17). Cela est vrai puisque ce que Dieu est en lui-même est indissociable de son caractère moral. Pourtant, cela ne détruit nullement sa liberté ! Cette impossibilité divine montre que la liberté, conçue comme « capacité de choisir entre le bien et le mal de façon radicalement indéterminée », n’existe nulle part dans l’univers, y compris en Dieu lui-même !
Pratiquement, la liberté biblique nous aide à mieux comprendre notre vie de chrétiens. La société actuelle cherche à faire comprendre que les notions de « devoir » et d’« obéissance » d’un côté et de « liberté » ou d’« épanouissement » de l’autre s’excluraient mutuellement. Le chrétien affirmera que, loin d’être en opposition, c’est seulement lorsque les premières sont prises au sérieux dans une relation avec Dieu que les secondes peuvent exister ! Que le Seigneur nous permette de vivre et de proclamer cette vérité – de l’Évangile – autour de nous !