Par Micaël Razzano, Secrétaire général des GBU de France
Défis
Ruth était née dans la lignée du Messie (Mt 1 : 5). Pourtant son intégration en Israël n’était vraiment pas gagnée d’avance ! Ruth est moabite, un peuple issu de l’inceste de Loth avec sa fille aînée (Gn 19 : 36-37) et que Dieu avec banni de Sa présence pour n’avoir pas accueilli le peuple d’Israël lors de son entrée en Canaan (Dt 23 : 4-5). Ruth et Orpa avaient chacune épousé un fils d’Elimélek et Noémie, Malchon et Kiljon après que la famille se fut installée dans le pays de Moab pour fuir la famine qui sévissait à Bethléem. Mais dans ce pays de Moab, tous les hommes de la famille sont morts : Elimélek d’abord puis ses deux fils (1 : 1-5). Apprenant que la famine avait cessé à Bethléhem, Noémie, trois fois endeuillée, décide alors de retourner dans son pays. A la différence d’Orpa, Ruth prend la résolution de suivre sa belle-mère et s’engage à s’intégrer au peuple d’Israël et à servir le Dieu d’Israël (1 : 16-17).
Mais force est de constater que lors de son arrivée à Bethléem, l’accueil des habitants est entièrement réservé à Noémie (Il est vrai que c’est un retour douloureux pour elle : chaque rue résonne des souvenirs heureux qui ne retienviendront plus jamais). Pas un mot pour Ruth, qui a pourtant tout quitté pour accompagner sa belle-mère. Comme Orpa, Ruth aurait très bien pu tout simplement disparaître du récit biblique.
Détermination et providence
Mais ce serait sans compter sur la détermination de cette femme dont la résolution à suivre jusqu’au bout sa belle-mère avait déjà révélé le caractère entier et courageux. A peine installée, Ruth se met à l’ouvrage sans attendre les recommandations de Noémie (2 : 2). Elle prend l’initiative d’aller aussitôt glaner dans les champs comme l’autorisait la loi de Moïse pour les plus démunis (Dt 24 : 19, Lv 19 : 9-10). C’était une tâche particulièrement ingrate que Ruth accomplit cependant sans relâche du matin au soir (2 : 7).
Mais Ruth n’est pas seule. Dieu veille sur elle. Il l’accompagne dans sa démarche. La voilà en effet en train de glaner, ‘par un heureux hasard’ (2 : 3), dans le champ de Booz, un parent d’Elimélek que le narrateur a pris soin de présenter juste avant (2 : 1). En réalité, ce concours de circonstances n’est pas le simple fruit du hasard. Comme Noémie le reconnaîtra plus loin (2 : 20), c’est Dieu qui a conduit les pas de Ruth dans ce champ. Ruth et Noémie font l’expérience de ce que l’apôtre Paul écrira bien plus tard aux chrétiens de Rome « Dieu fait concourir toutes choses pour le bien de ceux qui l’aiment » (Ro 8 : 28).
Un accueil exemplaire
C’est l’accueil de Booz qui favorise l’intégration de Ruth en Israël. Le chapitre 2 décrit le soin qu’il met à accueillir cette étrangère parmi les siens. Après s’être renseigné auprès du responsable des moissonneurs à son sujet (2 : 5), il prend le temps de l’écouter. Il fait preuve envers elle d’empathie en mentionnant la mort de son mari, le départ de son pays, de ses parents (2 : 10-13). En mettant ainsi des mots sur ses maux, Booz montre qu’il se sent concerné par ce que vit cette étrangère. Il la conseille dans ses démarches (2 : 8-9), la bénit en réclamant1 pour elle une entière récompense pour s’être réfugiée sous les ailes du Dieu d’Israël (2 : 12). Mais surtout son accueil est généreux. Il l’invite à la table des moissonneurs à qui il demande de lui faciliter la tâche jusqu’à laisser exprès tomber des épis dans les champs pour qu’elle puisse les ramasser (2 : 15). En agissant ainsi Booz va bien au-delà de ce que la loi lui demande. Pourquoi tant de générosité ? Sans doute parce qu’au lieu de regarder à l’étrangère qui allait lui enlever des épis, Booz a considéré la femme courageuse qui avait quitté son pays pour entourer sa belle-mère.
Mais un autre homme a favorisé cet accueil si chaleureux. C’est le responsable des moissonneurs que Booz interroge avant de s’adresser à Ruth. Tout en précisant que Ruth est moabite, son rapport reste cependant honnête, positif et sans aucun préjugé (2 : 6-7). Il aurait pourtant été très facile de dire du mal de cette étrangère qui vient se servir en Israël, de rappeler la malédiction qui pèse sur les moabites. Que ce serait-il passé si au lieu d’encourager la vérité on avait laissé libre cours aux préjugés ? Booz aurait-il exercé un accueil aussi bienveillant envers Ruth ? Sans doute pas ! Mais parce que le responsable des moissonneurs a dit la vérité en mettant en avant le courage de cette femme, Booz a accueilli Ruth de telle sorte qu’elle s’est sentie réconfortée, valorisée au plus profond d’elle-même « tu m’as consolée, moi ta servante ; tu as parlé à mon cœur »2 (2 : 13). Cette consolation est en fait une restauration de l’existence comme le dit la TOB3 dans sa note, car la vie tout entière est dans le cœur.
A bien des égards, l’accueil de Booz envers Ruth, l’étrangère, la moabite, préfigure celui du Christ envers nous qui étions étrangers à la grâce, ennemis de Dieu (Ro 5 : 10). Cet accueil, les GBUssiens s’efforcent de le vivre dans les groupes locaux auprès de ceux qui sont différents, d’une autre culture, d’une autre religion, d’un autre arrière-plan avec bien souvent d’autres convictions. Il appartient à chacun, là où il est, de relever ce défi en allant vers son prochain pour l’écouter, se sentir concerné par ses préoccupations, l’aider si besoin, l’accueillir comme le Christ lui-même nous a accueillis (Ro 15 : 7).
Shalom en hébreu
Le cœur n’est pas simplement l’organe de la vie affective (il ne s’agit pas ici d’une déclaration d’amour) mais le centre de l’être où se situe l’intelligence et les décisions.
TOB :Traduction Œcuménique de la Bible