Chaque évangéliste écrit avec un projet rédactionnel bien à lui, chaque évangile a ses accents spécifiques. Un des thèmes favoris de Luc, ce sont les faibles et particulièrement les pauvres. Comment le savons-nous ? En étudiant tous les éléments qui se trouvent uniquement dans son livre.
Dans l’Évangile de Luc, certains passages correspondant au thème de la richesse ou/et de la pauvreté sont très faciles à trouver telles les paraboles du fils prodigue ou du riche et du pauvre Lazarre. Mais d’autres sont beaucoup plus subtiles puisqu’ils sont présents dans les autres évangiles mais avec des ajouts spécifiques à Luc. Une fois cette chasse au trésor terminée, il semble que l’on peut analyser la vision du “médecin bien-aimé” en trois parties : l’opposition riche-pauvre, l’utilisation que Jésus fait de ces deux états et enfin le thème de l’investissement.
Pauvres contre riches – bien vu, mal vu
Luc envoie à plusieurs reprises des signaux très positifs quand il parle des pauvres, ce qui contraste avec les signaux très négatifs qui sont émis quand il parle des riches.
Tout commence avec le cantique de Marie (Lc 1.51-53) où l’on voit que Dieu est en train d’effectuer un changement de donne avec l’arrivée du Messie : dans l’ascenseur social, les pauvres/humbles montent, les puissants/riches/orgueilleux descendent. Cela a l’air d’être vu par elle comme quelque chose de bon et de juste. On comprend très vite pourquoi au chapitre 2 : au v.6 Joseph et elle sont montrés en situation très précaire puisque leur bébé doit passer sa première nuit dans une mangeoire, puis au v.24 ils effectuent le sacrifice des indigents (Lv 12.6-8). Le Fils de Dieu est né dans le camp des pauvres et, apparemment, pour faire progresser leur situation.
Viennent ensuite plusieurs passages où les riches sont très mal vus :
- Malédictions aoutées. Au chapitre 6, Luc assombrit considérablement les très positives béatitudes avec une série de malédictions. Justement celles des vv 24-25 qui présagent le malheur des riches répondent aux promesses des vv.20-21 envers les pauvres. Il y a à nouveau cette idée de retournement de situation observée dans le cantique de Marie.
- Richesses non utilisées. Au chapitre 12, les vv13 à 21 ne parlent pas de pauvres mais seulement d’un riche qui ne vit plus que pour ses richesses. Il est appelé « déraisonnable » au v.20 parce que ses possessions étaient tellement devenues une fin en soi qu’il n’a pas pris le temps d’en profiter avant que la mort n’intervienne ! Luc présente ici le riche comme quelqu’un qui gâche ce qu’il a… ce qui est une ignominie du point de vue des pauvres !
- Riches blasés. Dans le même schéma que le chapitre 12 (Jésus enseigne quelqu’un puis illustre son propos avec une parabole) les versets 12 à 24 du chapitre 14 montrent des riches qui, finalement, n’ont plus vraiment conscience de la valeur des choses : un festin vaut un autre festin, quelle que soit l’invitation on peut y aller par convenance, par intérêt ou même la refuser ! Alors autant inviter des pauvres qui, eux, en profiteront réellement sans arrière-pensées !
- La parabole du Fils prodigue (Lc 15) nous raconte le parcours d’un jeune homme « pourri-gâté » qui humilie son père et dilapide tout son héritage mais elle pointe aussi (et surtout) un fils aîné qui ne comprend pas la chance qu’il a… encore moins que son frère. Là encore, nous sommes en présence de riches qui ne profitent pas de leurs nombreux biens pour être heureux.
Après cette série qui se focalise sur les riches, l’opposition entre riche et pauvre reprend avec la parabole du riche et du pauvre Lazarre (Lc 16.19-30). Même si le but de Jésus n’est pas de traiter des inégalités sociales, on retient tout de même que celui qui était pauvre avait aussi foi en Dieu et finit donc dans « le sein d’Abraham » alors que celui qui était très riche mais qui n’avait pas foi en Dieu finit dans la géhenne ! Il n’est absolument pas dit que leur état final a un rapport avec leur condition sociale initiale mais on peut observer une nouvelle répétition du schéma « d’effets d’ascenseur » initié par le cantique de Marie.
L’une des héroïnes du chapitre 18 est la veuve de la parabole. Elle est par définition pauvre et « triomphe » d’un juge qui finit par lui faire justice (et peut-être alléger sa pauvreté). Il n’y a pas de riche dans cette histoire (juste un puissant) mais celle qui est un exemple de foi et de persévérance est dans le camp des pauvres.
Enfin, au chapitre 19, la rencontre entre Jésus et Zachée nous parle cette fois-ci d’un homme aux richesses injustement acquises (alors que les autres sont juste riches) qui, après sa rencontre avec le Seigneur, donne la moitié de ses biens à ceux qu’il a lésés : les pauvres. Cette partie se finit donc sur une note d’espoir pour les riches qui se reconnaissent pécheurs !
La prochaine fois, nous verrons les buts de Jésus quand il utilise cet antagonisme riches-pauvres.