Nous allons parler de service. Pas de service dans le sens de rendre service : je fais quelque chose d’utile pour l’église ou pour mon prochain de temps en temps ou régulièrement, mais dans le sens d’être au service de quelqu’un.
Par Jessica Abe, pasteure des Églises évangéliques libres à Orléans
C’est une question beaucoup plus fondamentale : je suis au service de qui ? Je sers les intérêts de qui ? Qui est mon maître ? Et en tant que chrétiens, dire qu’on vit pour le Seigneur Jésus, qu’il est notre maître, ça participe à définir le sens de notre existence, ça nous dit qui on est, bref ça contribue à définir notre identité. Mais ce lien entre service, loyauté et identité n’est pas seulement valable pour les chrétiens.
Beaucoup de nos contemporains rejetteraient l’idée qu’ils sont au service de quelqu’un. Notre société a absolutisé la liberté individuelle comme la valeur suprême, elle est de plus en plus allergique à toute forme d’autorité, bref on a de plus en plus de mal à se penser au service de quelqu’un, qu’on est lié par une sorte de loyauté à une personne, un idéal, un principe qui contrôle notre vie ; « mais non, dit-on, on est libre ! ». Mais en fait ce n’est pas si simple. Il semblerait bien qu’on n’ait pas le choix : on va forcément servir un « maître ». La question n’est pas : est-ce que je vais servir quelqu’un ? parce que de toute façon je vais servir quelqu’un, mais plutôt : qui est-ce que je vais servir ? C’est en tout cas, ce qu’a découvert le héros de notre histoire, Samson : il va devoir servir quelqu’un. Samson a été appelé à servir le Dieu vivant, mais il a méprisé cet appel et il s’est retrouvé, non pas libre, mais esclave de Dâgon, l’idole des Philistins.
Comment il en est arrivé là ? C’est que qu’on va voir. On ne va pas lire toute l’histoire de Samson, c’est un peu long, ça fait quatre chapitres. Mais c’est une histoire connue, et on ne lira que quelques passages tirés des chapitres 13 à 16 du livre des Juges.
Appelé à servir le Dieu vivant (Juges 13)
Samson n’était pas mal parti dans la vie. Dès avant sa naissance, Samson est mis à part, appelé au service de Dieu.
En Juges 13, on lit que les Israélites sont sous domination philistine et que Dieu intervient pour leur susciter un libérateur. L’ange de l’Eternel apparaît à une femme, la femme de Manoah, et lui annonce qu’elle va avoir un fils, celui qui commencera ce travail de délivrance du peuple. Et l’ange accompagne son annonce d’instructions particulières. Il dit ceci (13.4) : « A partir de maintenant, prends bien garde de ne boire ni vin, ni autre boisson alcoolisée et de ne rien manger qui soit rituellement impur. Car tu vas être enceinte et tu mettras au monde un fils. Ce garçon sera consacré à Dieu dès le sein maternel : jamais il ne devra se couper les cheveux ou la barbe. C’est lui qui commencera à délivrer Israël des Philistins. »
Les instructions de l’ange renvoient à une forme de consécration pratiquée en Israël qui s’appelle « le naziréat » et dont les modalités sont décrites dans la Loi de Moïse. D’après Nombres 6, le nazir, ou naziréen, est une personne qui se consacre volontairement à Dieu pendant une certaine période de sa vie. Pour marquer sa consécration, cette personne doit s’abstenir d’alcool, ne toucher aucun corps mort et ne pas se couper les cheveux ou la barbe. Dans le cas de Samson, il y a quelques différences : ce n’est pas une consécration volontaire, mais une consécration qui lui est imposée dès avant sa naissance, et pour toute sa vie. Il ne doit pas boire d’alcool, il ne doit pas se couper les cheveux. L’interdiction d’entrer en contact avec des cadavres est peut-être aussi implicite, mais ce n’est pas clair dans notre récit.
Dieu a appelé Samson à son service pour faire de lui le libérateur de son peuple, et la fin du chapitre 13 nous dit que Dieu a béni Samson, et que l’Esprit Saint agit en lui. Choisi, guidé, fortifié par l’Esprit Saint – voilà un libérateur miraculeux dans lequel on peut avoir de grandes espérances. A la fin du chapitre 13, on lit que Samson est à Mahané-Dan, et qu’il va à Timna. Ce sont des villes qui sont tombées sous la domination des Philistins. Samson n’est-il pas bien parti pour reconquérir ces villes selon la mission de délivrance qui lui a été confiée ?
Samson suit ses penchants… mais fait-il les bons choix ?
Mais au lieu d’une mission de reconnaissance en territoire ennemi, Samson a visiblement la tête à autre chose. Le texte nous dit qu’il descendit à Timna et vit une femme philistine. Il descend et il voit. Deux verbes clés, qui vont marquer tout le récit et qui illustrent que Samson suit son propre chemin, s’affranchissant de l’autorité de ses parents, et surtout de celle de Dieu.
Samson descend : le verbe est employé en 14.5, 7, 10, 19 en 15.1, en 16.1 (il descend à Gaza et voit une prostituée…). D’un point de vue géographique, ça a du sens : Tsorea, le village de Samson, est en hauteur, et à chaque fois qu’il se rend quelque part, il doit descendre dans la vallée. Mais c’est difficile de ne pas y voir un sens figuré : Samson suit ses penchants et descend spirituellement de là où Dieu l’avait placé, béni, appelé. Samson descend dans la compromission avec les Philistins, pas une fois, deux fois, mais de nombreuses fois, et un jour il n’en remontera plus.
Samson voit. La vue, c’est un des thèmes clés du récit. Samson voit la femme philistine (14.1), son père proteste, mais Samson lui dit que cette femme est « celle qui convient à ses yeux » (14.3), elle plaît à ses yeux (14.7), il va voir le lion qu’il a tué (14.8), il voit une prostituée à Gaza et entre chez elle (16.1), et à la fin, il perdra ses yeux… Samson voit, il agit en conséquence, il suit les désirs de ses yeux, et à chaque fois ça le conduit plus loin de Dieu. Il était censé délivrer Israël des Philistins, mais non, il voit cette première femme et décide de lier sa vie à celle de cette Philistine. Il voit le lion mort avec le miel dedans, il en mange et en donne à ses parents. On ne sait pas si en tant qu’homme consacré à Dieu il devait éviter les contacts avec les cadavres, mais en tout cas il transgresse la loi de Dieu en mangeant quelque chose d’impur.
- Samson suit ses penchants, car il pense que c’est comme ça qu’il choisira ce qu’il y a de mieux pour lui. C’est une idée très répandue dans notre société. « Si ça te semble bon, fais-le. Toi seul sais ce qui est bon pour toi. Alors fais-toi plaisir. » Dans notre culture individualiste, qui absolutise la liberté, l’évaluation de ce qui est bon est centrée sur l’individu. Le critère de choix, c’est ses préférences individuelles. Lui seul sait mieux que personne ce qui est bon pour lui, et en plus il est libre, alors ça lui devient très difficile d’écouter une autorité extérieure.
La Bible préconise une sagesse tout autre… et beaucoup plus sage. L’homme livré à lui-même, la personne qui suit les désirs de ses yeux, les penchants de son cœur ne fait pas les bons choix, ne choisit pas ce qui est véritablement bon et ne finit pas au bon endroit. C’est auprès de Dieu, dans l’obéissance à ses valeurs, à ses principes, et non pas loin de lui, qu’on trouve ce qui est bon. Il est notre Créateur, il sait mieux que personne ce qui est bon pour nous.