Je retourne pour la dixième fois voir l’offre d’emploi à laquelle j’ai postulé. Une pensée surgit : « Et si jamais ce poste est compromis avec la nouvelle vague de covid-19 ? ». Je ferme la page internet et pars naviguer sur le moteur de recherche avec l’espoir de trouver une nouvelle formation professionnelle attrayante. « Et si les cours étaient à nouveau inaccessibles en présentiel ? ». Mes doigts hésitent sur le clavier : « Mais comment peut-on prendre des décisions malgré autant d’incertitude ? ». Je ferme mon ordinateur avec résignation pour coucher mes réflexions sur le papier.
Comment prendre une décision ?
Des bribes de mon mémoire de fin d’études en psychologie me reviennent. J’avais étudié les deux modes de pensée intervenant dans le jugement et la prise de décision. Ils ont été conceptualisés par un éminent psychologue et prix Nobel en économie comportementale : Daniel Kahneman. Un premier mode de pensée consiste à réfléchir de manière intuitive, en se basant sur sa première réaction, rapide et peu consciente. Il s’agit d’un système de raisonnement heuristique, qui est utilisé dans la plupart des situations. Un second mode de pensée consiste à réfléchir de manière analytique, plus lente et dirigée consciemment. Il s’agit d’un système de raisonnement logique, qui demande plus d’efforts et que l’on utilise généralement pour des décisions importantes ou lorsqu’on souhaite éviter les erreurs de jugement. A force d’être confronté à une même situation, on développe une expertise dans le raisonnement intuitif dans ce contexte.
Comment favoriser une décision juste ?
Kahneman présente une trentaine de biais cognitifs qui peuvent conduire à des jugements erronés. Ces raisonnements intuitifs ont été appris à force que l’on soit confronté à une situation où ils sont pertinents. Pourtant, ils peuvent être complètement erronés dans d’autres situations. Savoir les repérer dans ses propres décisions permet de s’en détacher plus facilement.
Dans mon exemple de la crise sanitaire, j’ai repéré quelques biais cognitifs évidents, découvert par Kahneman dès 1974.
Le biais de normalité est une tendance à croire que les choses fonctionneront à l’avenir comme elles ont fonctionné normalement dans le passé et donc à sous-estimer, par exemple, la probabilité d’un événement exceptionnel.
Le biais de statu quo est la tendance à préférer laisser les choses telles qu’elles sont, un changement apparaissant comme apportant plus de risques et d’inconvénients que d’avantages possibles.
Le biais d’omission consiste à considérer que causer éventuellement un tort par une action est pire que causer un tort par l’inaction.
Le biais de négativité est la tendance à donner plus de poids aux expériences négatives qu’aux expériences positives et à s’en souvenir davantage. Reconnaissons-nous des raisonnements que nous avons déjà eus ?
Cela me fait penser aux écrits de sagesse dans la Bible. Le sage nous encourage à l’humilité dans la prise de décision dans son livre des Proverbes : « Il y a dans le cœur de l’homme beaucoup de projets, mais c’est le dessein de l’Éternel qui s’accomplit » (La Bible Louis Segond, 1910, chapitre 19, verset 21). Le sage nous met en garde contre le sentiment d’avoir un raisonnement parfaitement logique : «C’est l’Éternel qui dirige les pas de l’homme, mais l’homme peut–il comprendre sa voie ? » (chapitre 20, verset 24). Et il nous met en garde contre les jugements intuitifs trop hâtifs : « C’est un piège pour l’homme que de prendre à la légère un engagement sacré, et de ne réfléchir qu’après avoir fait un vœu » (20,25). Enfin, il encourage à s’enquérir des réponses d’autres personnes pour limiter les biais : « Les projets échouent, faute d’une assemblée qui délibère ; mais ils réussissent quand il y a de nombreux conseillers » (15,22). Mais si « c’est le dessein de l’Éternel qui s’accomplit » selon la Bible, quel est notre part de contrôle sur notre futur ?
Comment améliorer notre sentiment de contrôle ?
Dans toutes les cultures, le sentiment d’avoir du contrôle sur son propre environnement et sur son futur est essentiel au bien-être. Le très influent psychologue Albert Bandura appelle cela le sentiment d’efficacité personnelle. Il est issu des croyances d’une personne sur sa capacité à atteindre des buts ou à faire face à différentes situations. Il se développe principalement à partir de l’expérience de réussites ou d’échecs, l’observation des expériences d’autrui, la persuasion sociale par encouragements ou découragements, les facteurs physiologiques et émotifs. Par exemple, les réactions de stress et de tension peuvent être interprétées comme des signes de vulnérabilité et des risques pour nos projets.
S’entraîner à prendre en compte nos réussites, les expériences positives d’autrui, les encouragements et nos forces intérieures permet donc d’améliorer notre sentiment d’efficacité personnelle. Progressivement, ce regard positif et tangible peut nous donner de l’assurance en l’avenir. Ainsi conclut un autre sage de la Bible : « Au jour du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur, réfléchis : Dieu a fait l’un comme l’autre, afin que l’homme ne découvre en rien ce qui sera après lui » (Ecclésiaste 7, 14). « Cependant, (…) je sais aussi que le bonheur est pour ceux qui craignent Dieu » (8, 12), et cela reste une grande espérance.
C’est avec un cœur plus léger que je pose mon stylo. En s’appuyant sur la sagesse des psychologues et des auteurs de la Bible, j’ai appris que pour prendre une décision, il est bon d’écouter autant mon intuition que ma logique. Mon intuition est le reflet de mon expertise acquise grâce aux expériences passées. Tandis que ma logique permet d’éviter les biais cognitifs. Je m’appliquerai aussi à écouter ce que dit Dieu dans la Bible et à travers mon entourage. En gardant un regard positif sur mon passé et plein d’espoir sur mon avenir, je pourrais prendre des décisions plus sereinement, voire même plus justes.
Emeline Dufour Kreiss
Références :
Kahneman, D. (2012). Système 1, système 2 : les deux vitesses de la pensée. Paris, France : Flammarion.
Bandura, A. (1982). Self-efficacy mechanism in human agency. American psychologist, 37(2), 122-147.
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