Le monde dans lequel Jésus atterrit est découpé en plusieurs zones administratives et n’est plus vraiment gouverné par des juifs. Pourtant, au grès de ses déplacements, l’ancienne histoire d’Israël va resurgir.
Sommaire de la série
- Les bases
- Évolution du territoire d’Israël
- Dangers et tentations
- Retour à la case “départ”
- Nouveau départ ?
- En attendant Jésus
- Les accomplissements géographiques de Jésus (vous y êtes)
- Les débuts de l’Église (à paraître)
- Missions (à paraître)
On en était où déjà ?
Souvenez-vous, dans le dernier épisode nous avons vu le combat de deux frères hasmonéens pour le pouvoir : Hyrcan II et Aristobule II. Aristobule va l’emporter mais Hyrcan va chercher de l’aide auprès de l’iduméen Antipater (père d’Hérode) et du roi nabatéen Arétas III qui assiègent Jérusalem (qui sont ses voisins comme vous pouvez le voir sur la carte en orange et marron).
Le siège cesse sous la pression du général romain Pompée qui, après négociations et cadeaux, va arbitrer la querelle entre les 2 frères en prenant parti pour Hyrcan (parce qu’il est plus faible et donc manipulable) et va déloger Aristobule réfugié dans le lieu très saint (en forçant le temple) pour le faire mettre en prison à Rome. La royauté est maintenant aboli, les romains sont les maîtres. Hyrcan est dépossédé de son titre royal et dix cités grecques du nord-est obtiennent leur indépendance pour former les décapole (en rose sur la carte). La Judée doit maintenant payer un tribut à Rome.Antipater l’iduméen, lieutenant d’Hyrcan, commence dès lors à séduire les romains en les aidant pour leurs opérations militaires dans la région. Mais c’est quand va éclater la guerre entre Pompée et César (49) qu’Antipater va tirer son épingle du jeu auprès de César : il va l’aider militairement. Puisque l’Idumée est assimilée à Ia nation juive, il va tout faire (diplomatie avec les romains) pour devenir procurateur de Judée et placer ses fils comme gouverneur de la région, notamment un certain Hérode qui va administrer la Galilée.
À la mort de son père, Hérode va vouloir prendre la place du dernier roi hasmonéen Antigone (qui avait fait couper les oreilles de son oncle Hyrcan afin de le rendre inapte à la fonction de Grand-Prêtre !) et entre victorieux dans Jérusalem en -37 grâce à des légionnaires fournis par Marc-Antoine. Hérode le Grand va faire tuer Hyrcan et va épouser Mariamne, petite fille de Hyrcan et Aristobulle pour avoir une légitimité hasmonéenne (mais restant non juif).
Devenu paranoïaque, il la fera assassiner, ainsi que ses 2 fils par peur de perdre le pouvoir. Il fera la même chose avec des milliers d’enfants pour tuer un certains Jésus.
Bébé Jésus provoque de drôles de trajets
Quand on lit l’histoire de la naissance de Jésus, on ne s’attarde pas forcément sur les choses les plus importantes. Quand on lit Matthieu 2, il y a des trajets que nous commençons à bien connaitre. Le premier, c’est celui des mages (qui n’étaient ni rois ni trois) qui viennent adorer l’enfant : l’orient, c’est à dire Babylone. Le second, c’est la fuite de Joseph et Marie en Égypte pour que Jésus échappe à la folie d’Hérode. De Babylone à l’Égypte en passant par l’ancien Canaan, ça ne vous rappelle pas quelqu’un ? Mais si ! Abram !
C’est un peu comme si on revenait au début de l’histoire des hébreux et cela est conforme au projet rédactionnel de Matthieu : Jésus est le nouvel Israël, celui qui récapitule de manière parfaite l’histoire de son peuple qu’il vient sauver. Si la paranoïa d’Hérode lui permet d’aller en Égypte et d’en revenir comme s’il était le nouveau Moïse (lui aussi sauvé d’un infanticide de masse), il ne pouvait tout de même pas naître à Babylone ! Ce sont donc des babyloniens qui viennent l’adorer. Et là encore, il y a comme une ironie de l’histoire car la dernière fois que des babyloniens sont venus sur le territoire ce n’était pas pour offrir des cadeaux mais pour tout piller !
Le trajet des mages pourrait aussi rappeler l’exil et son retour :
D’ailleurs, ces mages/astrologues étaient-ils influencés par les prophéties d’un de leur lointain collègue prénommé Daniel, donnant ainsi un sens à l’exil ? Sont-ils la préfiguration d’une nouvelle période de l’histoire où les nations ne seront plus hostiles mais seront au contraire influencées pour le Dieu d’Israël ? En tout cas, la naissance de Jésus prend tout de suite une dimension internationale… et ça ne va pas s’arrêter là !
Le (nouveau) monde de Jésus
En 4 av.J.C, Hérode fait exécuter son fils Antipater III. Il fait d’Hérode Archélaos son successeur, recevant la moitié du royaume (Judée, de Samarie et de l’Idumée) avec le titre d’Ethnarque, tandis qu’Hérode Antipas et Hérode Philippe II deviennent Tétrarques seulement de Galilée et de Pérée pour le premier, et de la Gaulanitide, la Batanée, la Trachonitide et l’Auranitide pour le second (Conformément à ce qu’on peut lire dans Lc 3.1). Puis, au début de l’an 4 av.J.C, il décède. On lui atteste aujourd’hui dix épouses et une dizaine d’enfants. Voici le monde dans lequel Jésus a exercé son ministère :
Le galiléen
Quand Philippe va voir son pote Nathanaël pour lui dire que Jésus de Nazareth était le Messie tant attendu, celui-ci lui répond son fameux : “Que peut-il venir de bon de Nazareth ?” (Jean 1.46). Si Nathanaël fait preuve d’un tel scepticisme, c’est parce que de nombreux juifs le Messie devait intervenir à Jérusalem (en plus de naître juste à côté, à Béthléem). Car le temple avec son lieu Très-Saint, lieu de la présence de Dieu était dans la cité de David. Par conséquent, plus on s’en éloigne moins on est saint. C’est la logique de pureté et de sainteté décrite dans cet article d’où est tiré ce schéma :
En bas de l’étoile, on est déjà dans l’impureté quand on est à l’extérieur du camp (en dehors de Jérusalem du temps de Jésus). Or, d’où vient Jésus ? D’une bourgade à quelques encablures du temple de Jérusalem ? Non, carrément à 100 km de là, en Galilée ! Une province peuplée de juifs certes mais, comme on peut le voir sur la carte, entourée et peuplés aussi de païens : à l’ouest et au nord la Syrie, à l’ouest la Gaulanitide, au sud-ouest la décapole et au sud la Samarie. Jésus parlait donc sans doute araméen dans la vie de tous les jours, mais aussi grec qui était la langue internationale de l’époque (indispensable dans une région cosmopolite et prospère comme la Galilée) et enfin l’hébreux dans le contexte de la syngagogue. En résumé, la Galilée est le lieu le moins “pur” qui soit pour un juif pieux ! Alors que ferait le Messie là-bas (sinon soumettre les nations à son autorité) ?
Pourtant, Nathanaël a oublié qu’il existe une prophétie qui concerne la Galilée… et le Messie :
Ésaïe 8.23 Mais il n’y aura pas pour toujours des ténèbres sur ce pays envahi par l’angoisse. Si, dans les temps passés, Dieu a couvert d’opprobre tout le pays de Zabulon et le pays de Nephtali, dans les temps à venir, il couvrira de gloire la route de la mer, au-delà du Jourdain, le district des nations païennes.
9.1 Le peuple qui marche dans les ténèbres
a vu une grande lumière ;
sur ceux qui habitent le pays de l’ombre de mort
une lumière a brillé.
2 Tu as rendu la nation nombreuse,
tu l’a comblée de joie.
Ils se réjouissent devant toi de la joie des moissons,
de l’allégresse qui règne au partage du butin.
3 Car le joug qui pesait sur elle,
la trique qui frappait son dos,
le bâton de son oppresseur,
tu les a brisés comme au jour de Madiân.
4 Toutes les bottes qui piétinaient dans la bataille
et tous les manteaux roulés dans le sang
seront livrés aux flammes,
pour être dévorés par le feu.
5 Car un enfant nous est né,
un fils nous a été donné.
Il a la souveraineté sur son épaule ;
on l’appelle du nom de Conseiller étonnant,
Dieu-Héros, Père éternel,
Prince de paix.
6 Etendre la souveraineté,
accorder une paix sans fin au trône de David et à son royaume,
l’affermir et le soutenir par l’équité et par la justice,
dès maintenant et pour toujours :
voilà ce que fera la passion jalouse du SEIGNEUR (YHWH) des Armées.
Les vv.5 et 6 du chapitre 9 sont incontestablement messianiques… mais vous ne voyez pas la Galilée ? C’est parce que vous ne lisez pas l’hébreux (moi non plus) ! Dans l’original, le “district des nations païennes” en 8.23, c’est gelil haggoyim, c’est à dire “la Galilée des nations”. Si vous doutez encore, il y a le nom des deux tribus de Zabulon et Nephtali que vous pouvez repérer sur la carte de gauche (en orange et rouge) :
Espoir pour les païens
D’après le prophète Ésaïe, cette Galilée des nations méprisée doit donc être transfigurée, sauvée par un mystérieux enfant roi qui a tous les attributs de Dieu (5). Ce que les 12 vont voir, c’est un Jésus qui exerce une grande partie de son ministère autour du lac de Tibériade et qui va même faire des incursions encore plus loin à Tyr en Syrie (Mt 15.21ss), à Césarée de Philippe en Gaulanitide (Mt 16.13ss), à Gadara dans la Décapole (Mt 8.21ss) ou encore en Samarie (Jn 4). Même si Jésus va bien entendu faire des séjours à Jérusalem à l’occasion des différentes fêtes juives, même s’il dit régulièrement qu’il est venu en priorité pour les brebis perdues d’Israël, on constate que son ministère est international et qu’il veut bénir ces territoires métissés ainsi que leur population. Il agit donc conformément à la prophétie d’Ésaïe… même s’il va se lamenter devant l’attitude de plusieurs villes de Galilée qui refusent de l’écouter (Mt 11.20ss). Il va d’ailleurs les comparer… à des villes païennes qui auraient été plus réceptives ! Cela démontre que le ministère de Jésus dépasse le contexte juif, qu’il vise des gens de toutes langues et de tous peuples, cela préfigure ce qui va arriver quelques années plus tard, après son ascension : un déplacement du centre de gravité de l’Église de Jérusalem vers des territoires où les juifs sont très minoritaires. Et ce sera bien plus loin que la Galilée !